retour au Alsaciens Lorrains

Journal officiel de la République Française du 22 juin 1871

M. le Président. L'ordre du jour appelle la première délibération sur la proposition de MM. de Belcastel et plusieurs de ses collègues, tendant à concéder aux habitants de l'Alsace et de la Lorraine des terrains en Algérie.
Je place sous les yeux de l'Assemblée le texte du projet :

Art 1er- une concession de 100.000 hectares des meilleures terres dont l'Etat dispose en Algérie est attribuée aux habitants de l'Alsace et de la Lorraine qui voudraient conserver la nationalité française et qui prendraient l'engagement de se rendre en Algérie pour y mettre en valeur et en exploitant les terrains ainsi concédés.
Art 2- une commission de quinze membres sera nommée par les bureaux de l'Assemblée pour étudier et préparer la série des mesures destinées à réglementer l'exécution de la présente loi et pour déterminer, en outre, dans quelles proportions et de quelle manière l'Etat devra intervenir en dehors de la concession des terres, pour fac
iliter l'installation des travaux des nouveaux émigrants.

Personne ne demande la parole.

M. Raudot. Je la demande.

M. le président. La parole est à M. Raudot.

M. Raudot. Je voudrais faire seulement quelques courtes observations.
Je crois que le projet de loi qui est présenté donnerait une assez vive satisfaction à M. de Bismark... (Oh! Oh!) et voici comment : aux Français de l'Alsace et de la Lorraine, qui ont le plus les sentiments français, vous donnez une prime d'encouragement pour quitter l'Alsace et la Lorraine! Et bien, les Allemands seront enchantés de cette disposition-là.
Quant à moi, je ne voudrais pas exciter ces populations si patriotiques à quitter l'Alsace et la Lorraine; je voudrais les y faire rester, parce que ce sera un obstacle aux projets des Allemands, ce sera pour nous une espérance un jour. Mais, si vous excitez les personnes qui ont les sentiments les plus prononcés pour la population allemande, vous favorisez les projets du gouvernement de la conquête, et, en somme, vous ne faites rien d'utile pour la France.

Un membre . Vous ne pouvez pas forcer tous nos anciens compatriotes à être allemands;

M. Raudot. Permettez moi de vous dire que si toutes les personnes qui ont des sentiments très-français en Alsace et en Lorraine, quittent le pays, la conquête est à jamais faite.
C'est précisement parce qu'il y a des français qui resterons là avec leurs sentiments français que la conquête pourra un jour être défaite par nous et par notre armée victorieuse. (Très bien! sur plusieurs bancs.)
Je vous prie de réfléchir sur ce point; je n'avais pas l'intention de prendre la parole. Mais il me semble que cette réflexion mérite qu'on s'y arrête un instant.
Ensuite, on vous propose de donner gratuitement 100.000 hectares des meilleures terrains aux Alsaciens et aux Lorrains qui voudront aller en Algérie.
On s'est toujours mépris sur la manière dont il fallait coloniser, en France. On s'est imaginé qu'en donnant des terrains pour rien, qu'en donnant des avantages de passage, qu'en donnant même de l'argent aux colons, on ferait de la bonne colonisation. Quant à moi, je crois qu'on faisait tout le contraire.
On fait de la colonisation en donnant de la liberté aux colons, en vendant les terrains dont la propriété est sur le champ pleine et entière, mais non pas en les donnant. Les personnes à qui l'on donne sont ordinairement des personnes qui n'ont pas d'énergie et qui comptent sur les faveurs du Gouvernement aux dépens du public. Les véritables colons sont ceux qui comptent sur leurs propres ressources, sur leur propre énergie, qui veulent à l'instant même être propriétaires en vertu d'un droit incommutable.
En Algérie, on a fait tout le contraire; en voulant coloniser on a donné des terrains, on a procuré des avantages, on a construit des maisons, on a envoyé des populations aux frais de l'Etat. Eh bien, ces colons n'ont pas été de véritables colons et l'on n'a rien fait de bon. Dans les pays où l'on fait la vraie colonisation, on ne donne qu'une chose, la liberté, et on arrive à des effets prodigieux dont on ne se doute pas en France.
Telles sont les considérations qui me font demander le rejet de la loi qui vous est proposée. (Approbation sur plusieurs bancs).
M. le président. La parole est à M. de Belcastel.

M. de Belcastel. Messieurs, pas plus que l'honorable M. Raudot, je n'avais l'intention de prendre la prendre la parole. Je croyais, je l'avoue, que cette proposition ne soulèverait pas d'objection. Puisqu'il en a été autrement, je dois répondre, et je le ferai en peu de mots.
L'honorable M.Raudot craint que le vide ne soit fait en Alsace par le courant qui se précipiterait en Algérie.
Il y a plusieurs réponses très-simples à faire à cette objection :
La première, c'est que le courant d'émigration de l'Alsace s'établira quand même. Ceux qui ne veulent pas de la domination prussienne ne voudront pas rester dans la pays pour jouer bénévolement le rôle de pierre d'attente. Il y en a que l'empire germanique froisse profondément, et ceux-là s'en iront aux Etats Unis; ce courant d'émigration est déjà sensible. L'Alsace est un pays d'émigrants qui fournit tous les ans aux Etats Unis une population nombreuse. Eh bien, il est tout simple qu'au lieu de la laisser aller aux Etats-Unis, nous la retenions sur la terre fançaise. La seconde réponse c'est que ce vide n'est pas de nature à dépeupler l'Alsace.
100.000 hectares à 50 hectares par famille composée en moyenne de cinq personnes, c'est 10.000 âmes sur 1.500.000 qui demeurent séparés de nous.
Le reproche fondé sur le plaisir que cause le projet à M. de Bismarck m'a étonné profondément, puisque ce projet faisant en même temps grand ^plaisir à M. Keller, qui avait bien voulu m'exprimer sa reconnaissance pour l'avoir proposé. Je crois que M. Keller, pour les intérêts alsaciens, est un bon juge qu'on peut écouter sans crainte de tomber dans le germanisme.
la seconde objection présentée par M. Raudot, repose sur les difficultés d'établissement, sur la stérilité d'une colonie fondée par des Alsaciens à qui l'on concéderait des terres.
Je dois le dire, messieurs, là encore l'objection tombe d'elle même. Elle a été étudiée au double point de vue de l'Alsace et de l'Algérie. Or, il résulte de cette double étude que les terres ne seraient données qu'à des émigrants qui offriraient toutes les garanties désirables. Un comité s'est formé en Alsace pour juger les titres de ces émigrants; les études sont déjà assez nombreuses, et, en définitive, il ne faut pas oublier qu'il y a là des français à racheter, que ces français demandent à être rachetés, et que leur situation mérite tout notre intérêt. (Très bien! très bien!)

M. le président. La parole est à M. Lucet.

M. Lucet, rapporteur. Messieurs, autant que l'honorable M. de Belcastel, j'ai été surpris des objections de M. Raudot a faites au projet de loi. En effet, aucune des objections qu'il a présentées n'est digne de fixer sérieusement l'attention d'un homme qui s'est occupé de cette question.

M. Raudot. Je demande la parole.

M. le rapporteur. M. de Belcastel a répondu comme je l'aurais fait moi même à la première desobjections. Il est certain qu'un courant d'émigration existe depuis longtemps dans les départements de l'Alsace et de la Lorraine; il est certain que, jusqu'à ce jour, ce courant d'émigration n'a pas été dirigé vers l'Algérie, et aujourd'hui des circonstances politiques extrêmement graves, sous l'empire desquelles se trouvent placées les populations de ces provinces, qui ont perdu la qualification de territoire français, vont augmenter encore le courant de cette émigration.
La question qui se présente tout naturellement est donc celle-ci :
Y a t-il intérêt pour la France de perdre des hommes qui étainet attachés à ses institutions, qui étainet attachés à ses institutions qui étaient attachés à son sol, que d'effroyables malheurs, que de grands désastres en ont violemment séparés, et que nous avons tous à coeur de conserver? ou bien, au contraire, faut il les laisser se diriger vers d'autres pays?
Que l'honorable M. Raudot en soit bien convaincu, il y a une certaine quantité d'Alsaciens et de Lorrains qui profiteront de la faculté qui leur est donnée pour conserver le titre de Français, qui ne voudront pas vivre sous les institutions germaniques, surtout dans le voisinage de la France, et qui, par conséquent, demanderont à d'autres climats une sorte de refuge contre cette souffrance morale, qui ne manquerait pas de les assaillir sans cesse dans le courant de la grande épreuve qu'ils ont à subir.
Ce courant d'émigrant existe; il faut le diriger chez nous.
On a pensé que le moyen le plus simple, le plus efficace, c'était de la diriger vers l'Algérie, qui est une seconde France. Ici, nous répondons à un double besoin : en premier lieu, celui de donner satisfaction aux sentiments patriotiques qui survivent dans le coeur des habitants de l(Alsace et de la Lorraine après le désastre qui les a frappés, après la séparation violente de leur pays d'avec la France, et, en second lieu, au besoin de coloniser l'Algérie, car avant tout, il faut lui procurer une large immigration.
Ne l'oublions pas, avant même que la France vit son territoire diminué, il était de sons intérêt d'agrandir sa population. Aujourd'hui, à plus forte raison, alors que nous avons subi une diminution sensible de territoire et de régnicoles, sommes nous intéressés à trouver ailleurs que sur notre sol, parce qu'il ne pourrait y suffire, une sorte de berceau pour l'accroissement de notre population ?
Eh bien, le pays qui s'offre tout naturellement pour atteindre ce résultat d'une façon efficace, c'est l'Algérie.
L'Algérie, par suite du système qu'elle a subi jusqu'à présent, n'a pau ouvrir suffisamment ses bras à l'immigration. La population est restée presque stationnaire depuis quarante ans. Il est bon douvrir un courant aux populations qui voudront la peupler.
La commission a pensé avec les honorables représentants auteurs de la proposition qu'il serait à la fois patriotique et utile d'attirer en Algérie les habitants de l'Alsace et de la Lorraine qui veulent conserver leur titre de Français.
La seconde objection de l'honorable M. Raudot consiste à prétendre qu'en donnant gratuitement des terrains, nous attirerons en Algérie des hommes qui ne sont pas en position de les faire valoir. Pense-t-il qu'il suffit de leur donner la liberté, rien que la liberté et de les abandonner ainsi sans secours, sans soutien dans cet immense pays, pour assurer leur prospérité? Ce serait une illusion bien grande et bien fâcheuse. Que l'honorable M. Raudot en croie l'expérience des hommes qui ont suivi pas à pas la colonisation en Algérie, qui ont constaté les fautes commises et qui savent ce qu'il faut faire pour y remédier.
La première condition est de donner des terrains comme en Amérique, en quelque sorte pour rien. Comment pourrait-on songer à appeler en Algérie des émigrants déjà presque ruinés par les fléaux de la guerre, et qui devraient épuiser leurs premières ressources dans l'acquisition des terrains, en contractant des dettes qui les forceraient à grever ces terrains d'hypothéques, et les empêcheraient par suite de recourir au crédit? Ce n'est pas impossible. Il faut par conséquent, dans cette circonstance, donner aux habitants de l'Alsace et de la Lorraine des terrains gratuitement.
Il ne faut pas croire que, jusqu'à présent, les concessions de terrains aient été gratuitement faites en Algérie. Quand on donnait des terres moyennant une rente annuelle d'un franc par hectare, on imposait, en outre, aux malheureux concessionnaires des clauses tellement exorbitantes, qui limitaient tellement leur activité, qu'il aurait mieux valu pour eux qu'ils achetassent très cher ces terrains.
Les terres données gratuitement n'empêcheront pas les concessionnaires d'user de toute leur liberté pour les mettre en culture. Rassurez vous, nous n'avons pas demandé au'on attirât en Algérie des gens sans aveu ou des travailleurs sans ressources.
Si l'honorable M. Raudot avait assisté aux discussions qui ont eu lieu dans le sein de la commission, il aurait vu avec quel soin, au contraire, cette question y a été discutée. Nous avons demandé la garantie d'un certain avoir; nous ne voulons faire ces concessions qu'à des personnes qui pourront y faire face aux frais de premier établissement.
La commission n'a pas cru devoir empiéter sur la mission de celle qui doit être nommée et qui sera chargée d'indiquer les voies et moyens à employer pour mettre ce projet à exécution.
En quoi consiste le projet de loi actuel ? Il dit qu'on accordera, à titre gratuit, 100.000 hectares de terrains à ceux des habitants de l'Alsace et de la Lorraine qui voudront conserver le titre de Français et qui voudront en même temps prendre l'engagement d'aller s'établir comme colons en Algérie. Ce premier principe adopté, vous nommerez une commission de quinze membres qui sera chargée de régler toutes les conditions auxquelles devront être soumises, pour être agréées, les personnes qui désireront bénéficier de cette faculté d'obtenir des terrains à titre gratuit.
En même temps, la commission examinera les charges que le Gouvernement aura à s'imposer pour leur faciliter les frais de premier établissement. Toute la question pratique est donc réservée, et, que M. Raudot se rassure, il peut être convaincu que des hommes qui depuis quarante ans ont vu ce qui se passe en Algérie, qui ont constaté surtout les immenses inconvanients de l'ingérence administrative dans la libre expansion de la colonisation, veilleront à ce qu'on ne retombe pas dans les fautes passées; on saura concilier les conditions nécessaires au succès, avec la liberté, qui est la base fondamentale de la prospérité à quelque point de vue qu'on se place.
La proposition consiste donc uniquement en ceci : un article 1er dans lequel on dispose de 100.000 hectares de terrain; un article 2 qui dit qu'une commission de quinze membres, nommée dans les bureaux, sera chargée d'assurer l'exécution de cette loi, en indiquant les moyens qui devront être employés pour faciliter, pour assurer le succès de cette mesure éminemment patriotique et favorable à la colonisation de l'Algérie. (très bien! très bien! - Aux voix!)

M. Raudot. Je demande à répondre un mot.

M. le président. M. Raudot a la parole.

M. Raudot. Messieurs, cette question mérite votre attention; car je vous préviens qu'il ne s'agit pas seulement de faire de la philantropie, mais qu'il s'agit d'une question d'argent, et dans ce moment-ci on devrait être extrêmement réservé pour engager l'Etat dans des dépenses dont on ne connait pas l'étendue.
Je vous prie de remarquer que la proposition dit : On donnera 100.000 hectares. D'abord, si ces 100.000 hectares peuvent être vendus, c'est un sacrifice que faut l'Etat. Mais ensuite, dans cette commission de quinze membres qui doit être nommée d'après l'article 2, on examinear les sacrifices que l'Etat devra faire.
C'est là une question budgétaire qui peut vous entraîner fort loin.

M. de Belcaster. Je demande la parole.

M. Raudot. M. Lucet disait, en commençant, que les objections que je faisais ne méritaient pas de fixer l'attention d'un homme sérieux....

M. le rapporteur. Je n'ai pas dit cela; j'ai dit : d'un homme qui avait étudié ces questions.

M. Raudot. Je crois que vous êtes tous des hommes sérieux, et vous allez voir que la question mérite de fixer votre attention.
Cette question des terres données gratuitement, croyez-vous qu'elle soit nouvelle? Elle a, en 1848 et 1849, agité l'Assemblée nationale, et l'expérience est faite. A cette époque, un homme illustre, un général du plus haut mérite, a fait prévaloir dans l'Assemblée le système des concessions gratuites de terrains en Algérie et des sacrifices faites par l'Etat pour coloniser. A cette époque, j'étais un homme presque inconnu. (Ah! Ah!) et je n'ai pas craint de m'élever contre le système de l'illustre général, et je lui ai prédit qu'il échouerait; l'Assemblée est entré dans le système des conditions gratuites de colonisation faite avec l'argent de l'Etat et le système a croulé par la base; telle est l'espérience.
Je disais : Vous ne ferez point de colonisation véritable; et il n'y a pas eu de colonisation réelle. Sans doute, messieurs, on a envoyé 20.000 hommes en Algérie, on a acrifié beaucoup de millions pour ces prétendus colons, et au bout de très peu de temps, ils sont revenus, ou ils sont morts.
Ceux qui avaient été les plus habiles, qu'ont-ils fait? Ils ont revendu le lendemain ou le surlendemain ou le surlendemain les terrains qui leur avaient été donnés pour rien. L'année suivante, ils étaient de retour en France.
Quand vous donnerez gratuitement des terrains, est-ce que vous n'allez oas mettre une chance qui forcera les concessionnaires à coloniser ? Si vous ne le faites pas, vos prétendus colons ne coloniseront pas, ils n'auront fait que piller le trésor public. Mais si vous ne mettez pas pour condition à la propriété de la concession qu'on devra cultiver les terrains, et reconnaître par des travaux le don que fait l'Etat, alors vous entrez dans la voie de la règlementation et du provisoire, vous ne faites rien de bon, vous détruisez toute colonisation en croyant la servir.

vous dites : Il y a des émigrants alsaciens en Amérique, mais il y en a peu en Algérie. C'est fâcheux; nous avons une magnifique colonie, une terre française, il faut faire en sorte que ces Alsaciens se rendent en Algérie.
Eh bien, vous croyez les forcer à la faire par les dons de l'Etat, et je vous explique que le résultat ne sera pas bon. Vous aurez beau faire, vous aurez beau donner des terrains pour rien, les véritables colons n'iront pas en Algérie.
Ils n'iront pas tant que vous aurez un système comme celui qui domine en Algérie.

Voix à gauche. Voilà la question!

M. Raudot. Ils n'iront pas tant que la liberté ne sera pas établie en Algérie, tant que vous n'aurez pas renoncé à votre système de centralisation excessive, qui, en France, cause déjà tant de mal, et qui, en Algérie, paralyse tout. (Très bien!) Vous aurez beau faire, je le répète, les colons ne viendront pas.
(Marques d'assentiment sur plusieurs bancs.)
Quelques membres au banc de la commission.
Nous sommes d'accord !

M.Raudot. Permettez; si vous êtes d'accord avec moi, ne donnez rien du tout.... (Oh! Oh!)

M. Ducuing. Donnons tout, au contraire!

M. Raudot. .... ou changez votre admnistration en Algérie.

M. Ducuing. Donnons la liberté d'abord !

M. Raudot. La première chose à faire, c'est de donner la liberté à la colonisation, la liberté d'agir sans règlementation, sans paperasseries et sans lisières.

M. de Mahy. Il faut la donner dans toutes les colonies.

M. Raudot. Il faudrait, pour en arriver là, commencer d'abord, messieurs, par la France, parcequ'il est impossible, si vous conservez en France le système de fonctionnarisme, la centralisation excessive qui nous opprime, de rien faire dans l'Algérie, dont l'administration sera toujours le reflet de la France, et encore bien plus accentuée dansses mauvais effets.
Permettez-moi de vous dire, messieurs, à quoi vous arrivez avec le système actuel.

Un officier d ela marine m'a dit un jour, -il y a de cela un certain nombre d'années :- Je suis allé dans une petite colonie française qui commençait, qui se fondait. Qu'est ce que j'y ai vu ? Soixante cinq colons d'un côté et cinquante huit fonctionnaires de l'autre ! (On rit.) Avec ce système là, comment voulez vous faire quelque chose de bon ? Les grandes colonisations sont absolument impossibles.

M. de Belcastel. Ce n'est pas la question !

M. de Raudot. Oh! c'est parfaitement la question. Donnez aux colons la liberté d'agir au lieu d'entraves de toutes sortes, vendez lui les terrains; quand un homme a acheté un terrain, il est propriétaire incommutable de ce terrain, il en peut faire ce qu'il veur; un homme qui achète le sol est un homme sérieux qui veur coloniser, et on ne va pas pyer un terrain pour n'en rien faire. Mais le terrain que vous donnerez, les trois quarts du temps celui à qui vous en ferez la concession sera un homme qui voudra piller le trésor public et pas autre chose, un cabaretier souvent qui n'aura pas la moindre idée de colonisation. Renoncez à votre système et prenez le mien, celui des Etats-Unis, celui de l'Angleterre, et alors vous n'aurez plus des Alsaciens s'en allant aux Etats-Unis, ils viendront naturellement en Algérie.
Il y a un autre exemple à citer.

Pourquoi les populations si actives, si intelligentes des Pyrénées, comme les Basques, les Béarnais, s'en vont elles en Amérique au lieu d'aller coloniser en Algérie? Elles ont fondé une magnifique colonie à Buenos-Ayres et dans la Plata. Pourquoi y vont elles? C'est parce qu'elles ne sont pas soumises à cette règlementation excessive et à tout ce système qui nous énerve et nous entrave.

tant que vous aurez ce système, vous ne pourrez pas faire de la colonisation.
Mais j'en reviens à la question. Ne donnez pas l'argent de l'Etat, ne donnez pas les terrains de l'Etat, ne faites pas des sacrifices pour engager des gens à venir en Algérie; qu'ils y viennent s'ils jugent qu'il ya moyen d'y gagner de l'argent, d'y gagner leur vie et de fonder des familles. Mais si vous persistez dans le système de faire des dons, vous n'arriverez à rien qu'à gaspiller le tésor public, et le trésor public n'a point, dans ce moment surtout, d'argent à perdre.

M. le rapporteur. je demande la parole.

M. de Belcastel. je l'avis demandée auparavant.

M. le président. La parole est à M. de Belcastel.

M. de Belcastel. Je laisserai la parole très promptement à l'honorable M. Lucet, pour défendre la proposition au point de vue de l'Algérie. Je n'ai qu'un seul mot à dire.
La plus grande partie de l'argumentation de l'honorable M. Raudot a eu pour but de défendre et l'argent et les terres de l'Etat.

Eh bien, quant à moi, mon opinion est toute différente. Il me semble que dans un temps où il est universellement reconnu que les territoires peuvent passer de main en main à travers les Etats, que la terre morte n'est rien et que les hommes sont tout; au moment où il est universellement admis que l'acte le plus grave, - un acte tellement grave qu'on croit qu'à peine il appartient à une Assemblée de la décider, - l'acte le plus grave, c'est celui qui fait passer des hommes d'une domination sous une autre; à ce moment, il y avait quelques chose de grand et de moral à venir dire aux Alsaciens :"Nous avons cédé votre territoire, nous n'avons pas pu ne pas le faire; mais nous vous offrons, en Algérie, l'étendue de la moitié d'un département; si vous voulez vous y établir, ce sera une seconde France, fécondée par votre travail, ennoblie par votre fidélité à la mère patrie."
A ce sujet, messieurs, permettez-moi d'invoquer un souvenir. Un des membres de la commission a bien voulu nous dire que, dans un voyage qu'il avait fait en Styrie, il a retroucé un village silésien, tout entier composé d'habitants de la Silésie qui avaient émigré au moment où leur pays avait passé sous la domination de la Prusse. Eh bien, dans ces contrées lointaines, ils avaient prospéré; ils formaient le village le plus nombreux et le plus riche de la Styrie; ils gardaient leurs moeurs natales, et c'étaient peut être les sujets les plus affectionnés à leur ancienne patrie. (Mouvement.)

M. le rapporteur. Le moment n'est pas venu de discuter ici de la réorganisation de l'Algérie; le jour viendra, et j'espère qu'il est proche, où cette question sera discutée comme elle doit l'être, c'est à dire avec une entière liberté et comme il convient à une Assemblée qui se préocupe vivement des destinées de ce grand pays. (Très bien! très bien!)
Je demande donc à l'honorable M. Raudot la permission de ne le suivre dans aucune de ses digressions. La question qui nous occupe aujourd'hui est toute spéciale; il s'agit de savoir si, limitativement, pour les habitants de l'Alsace et de la Lorraine qui veulent conservernlanqualité de Français, le Gouvernement concèdera, à titre gratuit, 100 mille hectares de terrain en Algérie, et cela, par les motifs que vous connaissez et que chacun de vous apprécie dans son patriotisme.
M. Raudot s'est trompé en évoquant le souvenir de l'émigration en Algérie de 1848; il a parlé de 20.000 émigrants; c'est 13.000 seulement qu'on y envoya en 1848, et puis les émigrants de cette époque n'étaient pas du tout de la nature de ceux dont nous sollicitons aujourd'hui l'envoi en Algérie. (C'est vrai! C'est vrai!)
C'était, en partie, le rebut des ateliers nationaux de Paris... (C'est cela! - Très bien!); c'étaient des individus qui, dans tous les cas, n'avaient aucune aptitude pour la colonisation.
Sans doute, il y avait parmi eux de braves et loyaux citoyens, mais il y en avait d'autres qui ne méritainet pas la confiance qu'on leur accordait; c'était, en un mot, une émigration très mélangée.
Et, plus tard, quand l'Algérie a pu suivre pas à pas les actes et les travaux de ces émigrants qui lui avaient été envoyés en bloc, elle a su distinguer les hommes de coeur et d'intelligence de ceux aui, au contraire, n'ayant aucun goût pour la culture, ont été obligés de retourner en France ou sont morts après avoir traîné leur misère sur une terre qui n'était pas faite pour eux. On y avait, en effet, envoyé des modistes, des fleuristes, des tailleurs, des hommes d'arts et de métiers qui n'avaient jamais eu la moindre notion d'agriculture et qui devaient nécessairement échouer misèrablement comme ils l'ont fait. Mais à côté d'eux il y a eu des émigrants qui possédaient ces notions, qui se sont vaillamment mis à l'oeuvre, et qui ont parfaitement réussi. Je pourrais citer je ne sais combien de villages qui aujourd'hui sont en pleine prospérité et qui datent de cette époque.
Les émigrants dont nous nous occupons en ce moment sont des cultivateurs; la terre qui leur sera donnée gratuitement ne sera, en quelque sorte, qu'une première mise de fonds.

Si M. Raudot avait assisté aux discussions qui ont eu lieu dans le sein de la commission, il saurait que nous avons pris des précautions extrêmement sérieuses pour éviter les inconvénients qu'il signale.
La commission qui sera appelée à succéder à celle dont je suis l'organe, s'emparant probablement de notre pensée et partageant notre avis, jugera, comme noous, qu'il y a lieu d'exiger des personnes qui bénéficieront de ce don gratuit de terres, dont chaque lot sera, en moyenne, de 40 à 50 hectares, un apport pécuniaire de 4 ou 5 milles francs au moins, et les familles concessionnaires, seront l'objet d'un examen attentif au point de vue de la moralité, de la part d'une société d'émigration constituée à cette fin en France.
Ces familles offriront donc des garanties sérieuses. Quant elles arriveront en Algérie, elles prendront possession des terres qu'on leur donnera, sans attendre les lenteurs administratives qui ne peuvent plus, qui ne doivent plus exister : elles construiront leurs maisons d'habitation avec leurs propres ressources; elles constitueront ainsi une sorte de patrimoine; et c'est seulement alors, lorsqu'on aura acquis la certitude que ces familles ne veulent pas trafiquer du don qui leur a été fait, comme parait le craindre l'honorable M. Raudot, que le titre définitif de propriété leur sera délivré.
Soyez convaincus, messieurs, que votre commission, s'inspirant de la pensée qui doit l'animer dans cette circonstance, à savoir : la pensée d'ouvrir les bras à l'émigration de l'Alsace et de la Lorraine et de constituer en Algérie un noyau fécond de colonisation, prendra toutes les mesures nécessaires pour sauvegarder à la fois et les intérêts de la colonie et les intérêts de l'Etat.
Non, messieurs, dans les circonstances où nous sommes, on ne s'aventurera pas dans des largesses inconsidérées; mais on fera ce qu'on doit faire; on viendra en aide à des familles deux fois malheureuses, malheureuses d'abord pour avoir été les premières foulées par l'invasion étrangère, malheureuses ensuite pour avoir .............suite à venir

 

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Journal officiel du vendredi 16 septembre 1871

débats autour de l'article de loi

M. le président, La commission propose d'ajouter :
"Un crédit de 400.000 francs est ouvert pour la colonisation sur l'exercice 1871."
M. Lucet, rapporteur. La commission propose cette addition. Sans cela, durant les trois derniers mois de l'année, il serait impossible de procéder à la réception et à l'installation d'aucun colon.
L'autre jour, lorsqu'on a présenté à la décision de l'Assemblée, dans le budget rectifié, la suppression de 400.000 fr. sur la colonisation, j'ai eu l'honneur de monter à la tribune et de faire observer à l'Assemblée que cette somme devrait être restituée, et c'est ce que je viens vous demander.
L'honorable M. Cochery a déclaré que, lors de la discussion de la loi actuelle, cette restitution serait faite; c'est pour cela que je demande qu'on restitue les 400.000 fr. que vous avez retranchés avant hier comme excédent à l'article Colonisation.
Je m'en rapporte à la promesse faite par M. Cochery.
M. le président. Il n'est pas possible de faire une ouverture de crédit sans connaître l'avis de la commission du budget et du Gouvernement.
M. le comte Benoist-d'Azy. Rien ne s'y oppose.
M. le rapporteur. Nous demandons le renvoi à demain. Je croyais que c'était convenu l'autre jour.
Je me permets d'insister et de rappeler à l'Assemblée que je suis monté à la tribune avant hier spécialement pour cette somme de 400.000 fr. que je demandais, non pas de supprimer, mais plutôt de conserver pour l'affecter aux dépenses nécessitées par la loi soumise en ce moment au vote de l'Assemblée. Au reste, M. Cochery, rapporteur de la commission du budget pour cet article, a pris la parole et a répondu à mes observations que la somme de 400.000 fr. ferait l'objet d'un crédit spécial lorsque la loi actuelle serait votée. Je me fiais complétement à ce qui avait été décidé à ce moment là, et voilà pourquoi j'ai cru pouvoir me dispenser d'en parler à la commission du budget. J'ai dit que ce serait un simple virement.
Encore une fois, je croyais que c'était une affaire réglée.
M. Benoist-d'Azy. La commission répondra demain.
M. le président. Ce n'est pas un virement; c'est un crédit nouveau, puisque la somme n'a pas été portée au budget.
M. Cochery. Il ne peut pas y avoir d'obscurité sur le vote qui a eu lieu précédemment.
Voici quelle était la situation :
Il y avait, au budget voté par le Corps législatif pour l'exercice 1871, un crédit de 1.000.000 de francs affecté à la colonisation. Nous avons fait l'observation au ministre de l'intérieur qu'au milieu des circonstances qui affligeaient la France, et après l'insurrection qui avait éclaté en Algérie, il n'était pas possible qu'on eût employé ce crédit. Nous lui avons donc proposé une réduction de 400.000 francs, et, pour ne pas faire une économie intempestive, nous l'avons prié de télégraphier au gouverneur général de l'algérie l'indication de la réduction du crédit, afin de provoquer ses observations, s'il y avait lieu.
Le gouverneur général n'a fait aucine réponse; nous avons donc pensé qu'il n'y avait aucune objection à la résolution de votre commission du budget.
Nous vous avons, en conséquence, proposé l'annulation du crédit de 400.000 francs et vous avez voté cette annulation.
Aujourd'hui, notre honorable collègue, M. Lucet, à l'occasion de la distribution de terres aux Alsaciens et aux Lorrains, vous demande un crédit de pareille somme de 400.000 fr. pour subvenir aux dépenses et frais de la colonisation qu'il cherche à provoquer.
La commission du budget n'a pas à contester cette demande. Aussi, vous devez vous rappeler que l'autre jour, sur l'observation de notre honorable collègue, j'ai fait la déclaration que la suppression de 400.000 fr. portait sur le crédit voté par le Corps législatif, et que vous auriez la faculté d'en disposer sur les nouvelles résolutions législatives que vous pourriez voter. Seulement, si vous disposez de cette somme, il y aura lieu à une nouvelle affectation de crédit.
A la suite de la loi dont notre honorable collègue, M. Lucet, sollicite le vote en faveur des Alsaciens et des Lorrains, vous pouvez donc attribuer, soit une somme de 400.000 fr., soit une somme supérieure, pour les nécessités de la colonisation qu'il propose. Vous aurez ainsi annulé l'ancien crédit par le Corps législatif, lequel se rapportait à la colonisation, en général; mais vous avez évidemment conservé la liberté complète et absolue d'attribuer telle somme que vous voudrez pour la colonisation spéciale des Alsaciens et des Lorrains.
Nous sommes dans une situation analogue à celle où noous nous trouvions au commencement de la séance : il y avait un crédit attribué par le Corps législatif à l'école d'artillerie de Metz; nous avons dû supprimer le crédit, puisque l'école d'artillerie de Metz n'existe plus. Mais comme elle doit être rétablie, soit à Bourges, soit à Fontainebleau, vous avez voté un nouveau crédit qui sera dépensé dans la nouvelle résidence de l'école d'artillerie. C'est la même situation qui se présente pour le crédit de 400.000 francs.
Il s'agit, en définitive, de maintenir la sp&cialité des dépenses, et c'est ce qui vous aura amenés à annuler un crédit ouvert pour la colonisation et à la rétablir pour un cas de colonisation particulière.
Donc, pour satisfaire aux besoins indiqués par M. Lucet, il faut une proposition spéciale de crédit, un renvoi à la commission du budget, et, enfin, un rapport de cette commission. C'est seulement sur ce rapport que vous voterez.

M. le rapporteur. Voici, messieurs, un moyen bien simple de résoudre la difficulté qui se présente. On laisserait subsister dans l'article qui est soumis à votre vote que ce sera sur l'article Colonisation que le crédit sera pris, et ensuite on porterait qu budget la somme de 400.000 francs. On puiserait dans ce crédit la somme nécessaire.

M. Cochery. Mais non, il est plus simple et plus régulier de présenter la demande d'un nouveau crédit de 400.000 francs.

M. le rapporteur. C'est ce que je demande.

M. Cochery. Vous ne pourriez faire revivre un crédit que l'Assemblée a annulé. Aujourd'hui il faut créer un nouveau crédit.

M. le rapporteur. Peu m'importe, pourvu que le crédit soit attribué aux causes de la loi nouvelle.

M. le ministre de l'intérieur. La commission du budget pourra vous proposez demain d'inscrire au budget, non pas l'ancien crédit de 400.000 francs que vous avez supprimé, mais un crédit spécial pour cette colonisation, afin que s'il se présentait des colons on puisse pourvoir à leur installation.

M. le président. Monsieur Lucet, quel parti prenez-vous?

M. le rapporteur. Je prends le parti que vient de proposer M. le ministre de l'intérieur, c'est d'accepter l'annulation du crédit et demain la commission du budget s'entendra à cet égard et proposera un crédit spécial.

M. le pésident. L'article 10 reste alors ce qu'il était primitivement dans le projet.

M. le ministre de l'intérieur. On est d'accord sur l'utilité de ce crédit de 400.000 fr. Il a éré retranché au budget; il faut l'y rétablir de nouveau en raison des circonstances qu'on a indiquées.

Un membre. Il n'y a pas de raison pour attendre jusqu'à demain, on peut voter tout de suite.

M. le président. Alors nous reprenons l'amendement de M. Lucet ? (Non ! non !)

M. Cochery. Je le répète, il faut, puisque l'ancien crédit a été justement annulé pour obéir aux régles financières, présenter la demande d'un crédit nouveau.

M. le ministre. ce n'est pas dans la loi que nous votons que doit être inscrit ce crédit, mais dans la loi du budget.

M. le président. Je mets aux voix l'article 10, tel qu'il est dans le projet.

( L'article 10 est mis aux voix et adopté.)

(Supplément.)

"Art. 11- Les minsitres des affaires étrangères et de l'intérieur, et le gouvernement civil de l'Algérie sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution de la présente loi."

M. le rapporteur. Cet article doit être considéré comme non avenu; nous l'avons supprimé.

M. le président. En ce cas, je mets aux voix l'ensemble du projet de loi réduit aux dix articles que l'Assemblée vient de voter.

(L'ensemble du projet de loi est mis aux voix et adopté.)

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